La COP 21 a donné de l’impulsion à l’intégration des enjeux climatiques dans tous les secteurs de l’économie dont celui de la banque. Depuis 2019, la publication de rapports tant de la part des superviseurs européens (Banque Centrale Européenne – BCE) que des nationaux (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution – ACPR en France) incite à prendre ce sujet de manière explicite au sein des instances de gouvernance. Signe des temps : les banques intègrent ces préoccupations dans la construction de leur image après avoir pris conscience des liens éventuels entre le réchauffement climatique et leurs activités (le rôle de l’assureur apparaissait plus clairement dans son rôle de soutien post-catastrophe naturelle).
La nécessité impérieuse de prendre en compte les attentes des parties prenantes (dont la société dans son ensemble) et la pression pour influer de manière positive sur l’image de la banque constituent des leviers importants pour faire évoluer les dispositifs au sein des établissements. La réputation de la banque pourrait être affectée par un comportement irrespectueux vis-à-vis de sa responsabilité sociétale (financement d’une entreprise qualifiée de polluante, couverture de montages fiscaux agressifs en sont des illustrations). Les banques se doivent également d’anticiper l’impact des conséquences sur leur bilan des évolutions comportementales sous l’influence de ces enjeux climatiques.
Dans ce contexte, les autorités de supervision et de régulation accompagnent les banques pour s’assurer d’une prise en compte proportionnée de ces enjeux au sein de la gouvernance et de la gestion des risques.
5 ans déjà que l’accord issu de la COP 21 a été signée[1]. En France, la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte était déjà venue renforcer le cadre réglementaire des entreprises afin de les inciter à meilleures pratiques.
Quelques années plus tard, l’ACPR a produit un rapport (avril 2019) pour étudier l’enjeu de ces évolutions au sein des établissements bancaires[2]. Les publications se sont, depuis lors, accélérées, rendant ce sujet incontournable des réflexions au sein des états-majors des banques en 2020.
Fin 2019, l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) publiait un plan d’action pour une finance durable[3]. L’Article 98(8) de la CRD 2[4] envisage l’intégration de critères ESG[5] dans le ‘paquet’ CR2/CRD5 afin d’identifier les risques RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise[6]) en tant que risque pouvant affecter à court, moyen et long terme la stabilité financière des établissements. Ce qui suppose alors de gérer et de piloter ces risques et d’identifier les processus où la prise en compte de ces enjeux peut affecter les décisions.
Comme tout risque devenant significatif, les établissements auront des obligations de publication notamment au regard du Pilier III[7]. Il s’agira de communiquer sur les investissements durables et les risques liés au développement durable. Certains établissements publient déjà des informations extra-financières sur des métriques ou indicateurs visant à mesurer la température de leur portefeuille, leur degré d’alignement avec l’Accord de Paris ou encore l’intensité carbone de leur portefeuille.
La Banque Centrale Européenne (BCE) a publié le 20 Mai 2020 un guide précisant les modalités de prise en compte, par les banques, des risques liés au climat et à l’environnement au sein de leurs dispositifs de gouvernance et de gestion des risques.
Dès le 25 mai 2020, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) publiait un guide des bonnes pratiques en matière de gouvernance et de gestion des risques climatiques pour l’industrie bancaire[8].
En juin 2020, le Network for Greening the Financial System (NGFS) publie un guide technique, « Guide to climate scenario analysis for central banks and supervisors »[9], illustrant les enjeux à la fois macro et micro- prudentiels.
Enfin, en juillet 2020, après consultation de ses hypothèses, les équipes de l’ACPR et de la Banque de France publient notamment 2 guides techniques[10] pour aider les banques et les assurances à réaliser des scénarios relatifs aux impacts potentiels sur leurs activités. Cet exercice est facultatif pour les banques, à destination de certaines qui seraient volontaires. Les résultats des scénarios devront être fournis par les établissements fin 2020. L’objectif est de sensibiliser les établissements à ces enjeux et d’amener des prises de conscience sur les difficultés éventuelles de ce type d’exercice, notamment la disponibilité des données nécessaires à la mesure des risques.
Identifier les enjeux facilite la prise de conscience et l’adéquation des dispositifs. Cela suppose notamment de réaliser des scénarios afin d’en évaluer l’impact ; sachant que ces scénarios repose sur des hypothèses eu égard à nos connaissances d’aujourd’hui.
Le rôle de l’ACPR et de la Banque de France est d’accompagner les établissements dans ces exercices d’évaluation des risques afin de déployer des méthodes proportionnées aux enjeux et abordées de manière collective par la Place. L’ACPR, dans son guide, s’appuie sur une logique de « scénario de transition ordonnée proche de celui envisagé par la stratégie nationale bas carbone. Il vise également à fournir une évaluation des coûts à s’écarter de cette stratégie et à ne pas respecter les objectifs de l’Accord de Paris. » (Page 5 – ACPR – Juillet 2020).
L’exercice pilote couvre certains risques physiques et les risques de transition. Précisons tout d‘abord ce qui est entendu par ces risques.
Risque Physique : Ce qui entendu par risque physique couvre l’impact direct du changement climatique sur les personnes et les biens (sécheresses, inondations, épisodes climatiques extrêmes, etc.) ; sujet pour lequel les banques se sentaient assez éloignées …
Au sein du risque physique, le risque chronique (augmentation progressive des températures) se distingue du risque d’occurrence d’évènements météorologiques extrêmes (cyclone, brusque montée des eaux etc.).
Ce risque physique constitue pour la banque un facteur de risque externe, dans la mesure où la banque n’a pas d’influence directe sur ces risques. Néanmoins, en tant que facteur externe, il doit être appréhendé car ces risques physiques peuvent avoir des répercussions significatives sur l’économie et ainsi sur la stabilité des établissements.
Risque de transition : ce risque est la résultante d’une évolution du comportement des agents économiques et financiers en réponse à la mise en place de politiques énergétiques ou de changements technologiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
L’actualité récente illustre ces enjeux. Certains secteurs économiques peuvent ainsi être affectés tant dans la valeur des actifs qu’au regard de leur profitabilité s’ils sont trop orientés vers des actifs polluants. Selon les engagements des établissements financiers vis-à-vis de ces secteurs, la banque peut en subir les conséquences.
A côté de ces deux familles de risque, il peut être utile d’appréhender l’environnement macro-économique qui peut influer sur l’impact des scénarios :
Les scénarios sont construits en prenant en compte plusieurs paramètres.
3.1. Des scénarios influencés par l’horizon temporel
La prise en compte de l’horizon temporelle est importante. Les scénarios et les hypothèses de l’exercice fournis par les équipes de l’ACPR et de la Banque de France s’établissent par pas de 5 ans de 2020 à 2050, sous la forme de projections des variables climatiques, macroéconomiques et financières.
3.2. Des scénarios fonction de la réussite des plans de transition énergétique
A ce titre 3 scénarios sont proposés par les équipes ACPR-BDF :
3.3. Des scénarios qui s’appuient sur des anticipations macro-économiques
Les équipes ACPR-BDF ont développé un cadre analytique spécifique. Ce cadre s’appuie sur les données agrégées du NGFS pour générer les données macro-financières et sectorielles nécessaires à la réalisation de l’exercice pilote. L’exercice porte sur la France et trois autres zones géographiques retenues pour l’exercice (Reste de l’UE, USA et Reste du monde/expositions significatives).
3.4. Des scénarios qui prendront en compte les spécificités de l’activité des établissements
Il s’agit notamment de prendre en compte :
Pour les dirigeants et les responsables des fonction gestion des risques, la question est de savoir si le(s) risque(s) lié(s) au climat est(sont) des nouveaux risques (notamment le risque de transition) ou un facteur de risque influençant les risques déjà existants.
4.1. Facteur de risque pour le crédit
Prenons l’exemple du risque de crédit qui fait l’objet de stress test et d’exigence en capital. Les enjeux climatiques constituent un facteur supplémentaire à intégrer dans les scénarios afin de prendre en compte des défauts supplémentaires en matière de crédit ; de nouveaux axes de réflexion émergent. Par exemple, quels seraient l’impact sur le marché immobilier du renforcement de certaines exigences en matière de construction ?
En matière de crédits aux entreprises, une analyse sectorielle est nécessaire, celle-ci se devant d’être dynamique en fonction de la veille RSE.
4.2. Facteur de risque pour le marché
Au titre du risque de marché, des choix d’investissement sur des secteurs ovationnés aujourd’hui pourraient s’avérer coûteux demain si ces mêmes entreprises se trouvaient bannies au titre d’une finance durable dont les contours et les exigences évoluent sous l’influence de la société civile. Le risque de défaut de certains émetteurs est à anticiper. L’appréciation de la répartition du portefeuille est donc importante comme facteur influençant l’impact des politiques environnementales.
4.3. Facteur de risque pour les expositions au risque souverain
Les risques vis-à-vis des états (souverains) peuvent être affectés selon la manière dont certains évènements climatiques peuvent affecter l’économie nationale.
4.4 De nouveaux scénarii attachés aux risques RSE
Enfin, de nouveaux scénarios de risque sont définis dans le cadre du risque plus global RSE dont il faudra cerner les impacts grâce à l’analyse. Le niveau de granularité sera fonction des enjeux pour les établissements et donc de leur ‘business model’.
L’influence de ces réflexions sur la stratégie des banques est indéniable ; A titre d’illustration, en octobre 2016, juste avant l’ouverture de la COP22 à Marrakech, Crédit agricole et Société générale annonçaient la fin de leurs financements à tout nouveau projet ou extension de centrale à charbon, ce qu’avait déjà annoncé Natixis un peu avant.
5.1. Gouvernance et stratégie
Prendre en compte ces nouveaux enjeux suppose de réfléchir aux impacts en matière stratégique. L’objectif est d’améliorer la gestion globale des enjeux RSE en anticipant les conséquences potentielles de la prise en compte de la transition énergétique.
La stratégie devrait alors s’accompagner d’indicateurs pertinents qui permettent d’illustrer cette prise de conscience et la définition de l’appétit au risque en la matière.
Comme tout risque significatif, celui-ci pourrait avoir sa place dans dans le processus de révision et d’évaluation de la surveillance (Supervisory Review and Evaluation Process – SREP). Il trouvera également sa place dans le Plan Préventif de Rétablissement. D’ores et déjà, au titre de l’article 98(8) de la directive UE 2013/36 (modifiée par la directive UE 2019/878 – « CRDV »), les établissements se devront d’établir, d’ici juin 2021, un rapport sur l’inclusion possible des risques ESG au sein du SREP.
L’organisation de la banque devra accompagner ces évolutions : nomination de responsable (en lien avec les enjeux RSE[12]), intégration de ces sujets au sein des comités des risques ou création de comité spécifique etc. autant d’éléments qui doivent restés proportionnés aux enjeux.
5.2. Pilotage des risques
Piloter le risque suppose de s’assurer d’une part de la déclinaison opérationnelle de l’appétit défini et d’autre part du respect des limites et des seuils d’alerte.
Seule l’identification précise des enjeux permettra d’adapter le dispositif de maîtrise notamment dans sa composante préventive : veille sur le sujet, sensibilisation des acteurs (notamment sur la partie financement des entreprises), amélioration des procédures d’octroi, affinage des critères ESG retenus selon les processus/projets etc.
Les grands établissements ont déjà intégré depuis quelques années des critères de responsabilité sociale lors des entrées en relation (KYC). La gestion collective et l’investissement socialement responsable (ISR) se développent depuis de nombreuses années, sélectionnant les actifs de leur portefeuille en fonction de critères ESG.
L’évaluation des risques restera un exercice difficile : la cartographie des risques ESG ne permet pas de prédire l’avenir mais de le préparer, de l’anticiper en prenant aujourd’hui des décisions adaptées pour pouvoir amortir toute concrétisation des scénarios anticipés et contribuer à une finance durable.
Conclusion
Intégrer l’impact des enjeux climatiques dans la gestion des risques financiers n’est plus une option mais une composante de la gestion des risques. Si certains établissements sont assez avancés par rapport à ces sujets, compte-tenu de leur exposition, les établissements à risque faible se doivent néanmoins d’intégrer ce thème dans leur réflexion, a minima pour justifier le faible niveau de risque. Plus largement, les enjeux RSE sont dorénavant pris en compte de manière explicite par les établissements. Cela un coût, le prix à payer pour continuer à servir les intérêts des parties prenantes dont l’environnement dans lequel évolue banquiers et clients. Le coût s’amortira si l’investissement n’est pas qu’une façade bien pensante. La gestion des risques a encore un bel avenir …